Retournons à notre empilement de couches minces. Nous avons $n+2$ milieux homogènes isotropes ($n \ge 0$) avec $n+1$ interfaces qui sont les plan $z=z_i$. Nous appellerons « milieu $i$ » la couche $z_{i-1} \lt z \lt z_i$. Le milieu $z \lt z_0$ sera appelé milieu $0$ ou milieu entrant et le milieu $z \gt z_n$, milieu $n+1$ ou milieu sortant.
Nous désignerons par $\eps’_i$ la permittivité diélectrique du milieu $i$ $(0 \le i \le n+1)$ et
toutes les quantités calculées avec cette valeur de $\eps’$ seront identifiées par le même indice $i$. On aura donc dans chaque milieu les matrices $\boldsymbol\Delta_{\pi i}$ ($\pi=p$ et $\pi=s$), avec pour valeurs propres $\pm \zeta_i$ et pour vecteurs propres $|~i, \pm \gt$. Nous aurons également $\gamma_i = \dfrac{\omega}{c}\zeta_i$, ainsi que les vecteurs $\lt i, \pm~|$ avec la propriété
$\begin{array} {ll} \lt i, \mp~|~i, \pm \gt = 0, & \lt i, \pm~|~i, \pm \gt = 1 \end{array}$.
Comme mentionné précédemment, le champ
$\boldsymbol\Phi=\begin{bmatrix} \fff{E}_x & Z_0 \fff{H}_y & \fff{E}_y & Z_0 \fff{H}_x \end{bmatrix}^T$
est continu aux interfaces : $$\boldsymbol\Phi(z_i+0)=\boldsymbol\Phi(z_i-0).$$ Cela veut dire que si on a par exemple$\boldsymbol\Phi=\begin{bmatrix} \fff{E}_x & Z_0 \fff{H}_y & 0 & 0 \end{bmatrix}^T$
d’un côté de l’interface, alors $\boldsymbol\Phi$ aura la même forme de l’autre côté.Conclusion : même avec les interfaces, le champ se décompose en un champ de polarisation $p$ plus un champ de polarisation $s$ sur l'entièreté du milieu stratifié.
Pour ne pas alourdir les notations, regardons ce qui se passe à l'interface $1$. Les conclusions qu'on tirera seront aussi valides aux autres interfaces.
Pour chacune des polarisations, on peut écrire
$$\boldsymbol\Phi_\pi(z)=c_{1+}~e^{i \gamma_1(z-z_1)}|~1, + \gt + c_{1-}~e^{-i \gamma_1(z-z_1)}|~1, - \gt$$ dans le milieu $1$ et $$\boldsymbol\Phi_\pi(z)=c_{2+}~e^{i \gamma_2(z-z_1)}|~2, + \gt + c_{2-}~e^{-i \gamma_2(z-z_1)}|~2, - \gt$$ dans le milieu $2$. La condition $$\boldsymbol\Phi(z_1+0)=\boldsymbol\Phi(z_1-0)$$ implique qu'on doit avoir $$c_{1+}~|~1, + \gt + c_{1-}~|~1, - \gt = c_{2+}~|~2, + \gt + c_{2-}~|~2, - \gt.$$En multipliant cete dernière relation par $\lt 1, +~|$ et $\lt 1, -~|$, on obtient $$\begin{bmatrix} c_{1+} \\ c_{1-} \end{bmatrix} = \begin{bmatrix} \lt 1, +~|~2, + \gt & \lt 1, +~|~2, - \gt \\ \lt 1, -~|~2, + \gt & \lt 1, -~|~2, - \gt \end{bmatrix} \begin{bmatrix} c_{2+} \\ c_{2-} \end{bmatrix}.$$
On pourrait aussi exprimer $\begin{bmatrix} c_{2+} & c_{2-} \end{bmatrix}^T$ de manière similaire en fonction de $\begin{bmatrix} c_{1+} & c_{1-} \end{bmatrix}^T$ : $$\begin{bmatrix} c_{2+} \\ c_{2-} \end{bmatrix} = \begin{bmatrix} \lt 2, +~|~1, + \gt & \lt 2, +~|~1, - \gt \\ \lt 2, -~|~1, + \gt & \lt 2, -~|~1, - \gt \end{bmatrix} \begin{bmatrix} c_{1+} \\ c_{1-} \end{bmatrix}.$$
Il y a donc un lien clair entre les quatre coefficients.
On peut voir les choses d'une manière un peu différente. Regardons $c_{2+}$ et $c_{1-}$ : s'il n'y avait pas d'interface, les champs $|~1, + \gt$ et $|~2, - \gt$ « passeraient tout droit » ; on aurait $c_{2+}=c_{1+}$ et $c_{1-}=c_{2-}$. Cela suggère que les champs $|~2, + \gt$ et $|~1, - \gt$ sont causés par les champs $|~1, + \gt$ et $|~2, - \gt$ : ceux-ci sont des champs incidents sur l'interface alors que les premiers sont des superpositions de champs réfléchis er transmis. On peut vouloir relier l'effet à la cause en posant $$\begin{bmatrix} c_{2+} \\ c_{1-} \end{bmatrix} = \begin{bmatrix} t_{1\mkern 1mu 2} & r_{2\kern 1mu 1} \\ r_{1\mkern 1mu 2} & t_{2\kern 1mu 1} \end{bmatrix} \begin{bmatrix} c_{1+} \\ c_{2-} \end{bmatrix}.$$ Les quantités $r_{1\mkern 1mu 2}$, $t_{1\mkern 1mu 2}$, $r_{2\mkern 1mu 1}$ et $t_{2\mkern 1mu 1}$ sont appelées coefficients de Fresnel.
Notons que $r_{12}$ et $t_{12}$ sont les valeurs respectives de $c_{1-}$ et $c_{2+}$ si $c_{1+}=1$ et $c_{2-}=0$. D'après l'analyse de la section précédente, on doit dans ce cas avoir en $z=z_1$ $$|~1, + \gt+r_{1\kern 1mu 2}|~1, - \gt =t_{1\mkern 1mu 2}|~2, + \gt .\tag{1}$$ En multipliant (1) par $\lt 1, +~|$ et $\lt 1, -~|$, on obtient $$\begin{array} {ll} 1=t_{1\mkern 1mu 2}\lt 1, +~|~2, + \gt, & r_{1\mkern 1mu 2}=t_{1\mkern 1mu 2}\lt 1, -~|~2, + \gt ,\end{array}$$ ce qui permet de calculer $r_{1\kern 1mu 2}$ et $t_{1\kern 1mu 2}.$
Cette fois-ci, on est conduit à l’équation $$t_{2\mkern 1mu 1}|~1, - \gt = |~2, - \gt+r_{2\kern 1mu 1}|~2, + \gt .\tag{2}$$ De nouveau, en multipliant (2) par $\lt 1, +~|$ et $\lt 1, -~|$, on obtient $$\begin{split} 0 & = \lt 1, +~|~2, - \gt+r_{2\kern 1mu 1}\lt 1, +~|~2, + \gt \\ t_{2\mkern 1mu 1} & = \lt 1, -~|~2, - \gt+r_{2\kern 1mu 1}\lt 1, -~|~2, + \gt ,\end{split}$$ ce qui permet également de calculer $r_{2\kern 1mu 1}$ et $t_{2\kern 1mu 1}.$
Avec $$\begin{array} {ll} |~i, \pm \gt = \begin{bmatrix} \pm\zeta_i/n_i \\ n_i \end{bmatrix} & \lt i, \pm~| = \dfrac{1}{2}\begin{bmatrix} \pm n_i/\zeta_i & 1/n_i \end{bmatrix}\end{array},$$ on obtient $$\begin{array} {ll} r_{1\mkern 1mu 2}=\dfrac{n_2^2\zeta_1-n_1^2\zeta_2}{n_1^2\zeta_2+n_2^2\zeta_1} & t_{1\mkern 1mu 2}=\dfrac{2n_1n_2\zeta_1}{n_1^2\zeta_2+n_2^2\zeta_1}\end{array}.$$
Si $n_i$ est réel et si $\kappa_x \lt n_i$, on peut remplacer $\zeta_i$ par $n_i\cos\theta_i$. Quand c’est le cas dans les deux milieux, on obtient après simplification $$\begin{array} {l} r_{1\mkern 1mu 2}=\dfrac{n_2\cos\theta_1-n_1\cos\theta_2}{n_1\cos\theta_2+n_2\cos\theta_1} \\ t_{1\mkern 1mu 2}=\dfrac{2n_1\cos\theta_1}{n_1\cos\theta_2+n_2\cos\theta_1}.\end{array}$$
Avec $$\begin{array} {ll} |~i, \pm \gt = \begin{bmatrix} 1 \\ \mp\zeta_i \end{bmatrix} & \lt i,\pm~| = \dfrac{1}{2}\begin{bmatrix} 1 & \mp 1/\zeta_i \end{bmatrix}\end{array},$$
on a $$\begin{array} {ll} r_{1\mkern 1mu 2}=\dfrac{\zeta_1-\zeta_2}{\zeta_1+\zeta_2} & t_{1\mkern 1mu 2}=\dfrac{2\zeta_1}{\zeta_1+\zeta_2}\end{array}.$$
De nouveau, si $n_i$ est réel et si $\kappa_x \lt n_i$, on peut remplacer $\zeta_i$ par $n_i\cos\theta_i$ ; quand c’est le cas des deux côtés, cela donne $$\begin{array} {l} r_{1\mkern 1mu 2}=\dfrac{n_1\cos\theta_1-n_2\cos\theta_2}{n_1\cos\theta_1+n_2\cos\theta_2} \\ t_{1\mkern 1mu 2}=\dfrac{2n_1\cos\theta_1}{n_1\cos\theta_1+n_2\cos\theta_2}.\end{array}$$
Lorsqu'on calcule les coefficients $r_{2\mkern 1mu 1}$ et $t_{2\mkern 1mu 1}$, on constate qu'on obtient leurs valeurs tout simplement en échangeant les indices $1$ et $2$ dans les formules pour les coefficients $r_{1\mkern 1mu 2}$ et $t_{1\mkern 1mu 2}$.
On peut facilement vérifier que pour les deux polarisabilités, on a $$\lt 1, -~|~2, - \gt = \lt 1, +~|~2, + \gt~~~\mathsf{et}~~~\lt 1, +~|~2, - \gt = \lt 1, -~|~2, + \gt.$$ On peut alors montrer les relations $$\begin{array} {lll} t_{1\mkern 1mu 2}t_{2\kern 1mu 1}-r_{1\mkern 1mu 2}r_{2\kern 1mu 1}=1 & \mathsf{et} & r_{2\mkern 1mu 1}=-r_{1\mkern 1mu 2} \end{array}$$ dues à Stokes. À noter que pour les deux polarisabilités, on a également $t_{2\mkern 1mu 1}/\zeta_2 = t_{1\mkern 1mu 2}/\zeta_1$.
Fresnel est mort trop jeune de la tuberculose. En dehors des milieux scientifiques, il est surtout connu pour les lentilles qui portent son nom (voir par exemple Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lentille_de_Fresnel).